• La Bresse antique

    La Bresse antique

    Si je t'aime, ô ma Bresse, ce n'est pas seulement parce que je suis né sur la terre fertile et que je vis, d'abord, avec mes yeux d'enfant tes clochers familiers, ton horizon tranquille,

    et ce n'est pas non plus d'avoir, dans tes sentiers, murmuré mon premier "je t'aime" à quelque belle, non plus d'y avoir en mes primes amitiés ou mes premiers chagrins d'une jolie cruelle ;

    non, je ne t'aime pas mon pays, simplement, à cause de la joie, à cause de la peine, que j'ai pu ressentir lorsque j'étais enfant : je n'aime pas que ma Bresse contemporaine...

    Mais je t'aime pour tout ton passé, et mon cœur te suit pasionnément, à travers ton histoire : je t'aime en ta vieillesse et je t'aime en ta fleur, je t'aime en ta détresse et je t'aime en ta gloire,

    car nous tes petits-fils, les Bressans d'à présent, en naissant sur ton sol, ô Bresse, nous ne sommes que la continuation de tes vieux habitants et nous sommes toujours, pour toi, les mêmes hommes :

    Ce sont les mêmes âmes animant d'autres corps, les mêmes âmes, depuis toujours, vivant la peine et nous avons souffert avec toi mille morts depuis la préhistoire inconue et lointaine...

    Si sur ton sol, encore, il est tant de lutins et si dans tes grands bois il y a tant de fées, c'est qu'il fallait un baume à leurs navrants chagrins et distraire les âmes d'espoirs bleus assoiffés.

    Oui, frères paysans, nous avons bien souffert depuis les invasions celtiques et gauloises et depuis ces combats où le César d'enfer vainquit toute la Gaule, en Bresse, dans Aloise...

    Et nous avons encore versé tout notre sang pour arrêter le flot des hordes sarrasines : mais, plus tard, ce fut pis, quand le pays bressan dut supporter cent ans les guerres de rapines.

    Et puis après ces guerres vint un autre malheur : la famine effrayante avec la peste noire : les paysans mouraient dans d'atroce douleurs... De l'horrible fléau un dicton tient mémoire :
    "En mil trois cent quarante-huit
    "De cent ne demeuroit que huit..."

    Vinrent les grandes Compagnies, tueurs, brigands. Leur devise à ceux là s'énonçait voici comme : "Sus ! la bourse aux marchands, le feu aux paysans, violez, volez, tuez, mais paix aux gentilshommes !"

    Alors nous, paysans maigres, mourant de faim, pour vivre en ce temps-là, nous quittons nos chaumières, nous fuyons dans les bois marécageux, malsains, nous creuser des abris de bêtes dans la terre...

    Puis vinrent les soudards du nom de Tard-Venus, les Retondeurs qui ne vivaient que de tueries et nous vimes encore, hélas ! une fois de plus notre chaume flamber dans de grands incendies...

    Et ce furent les écorcheurs de Varembon, de Fortépine, les Malandrins, les tirelaines qu'on nommait guernipilles et qui maudits démons s'en allaient dans la Bresse courre la guairibandaine...

    Et l'on revit partout dans les champs, dans les bois, les cadavres dolents des laboureurs de terre qui succombaient de faim sans foyers et sans toits, de faim et de chagrin, de douleurs, de misère...

    Et c'est pourquoi, lorsque j'y songe, ô mon pays, ainsi qu'un être cher qui fut dans la détresse je t'adore, sachant combien tu as souffert pour tes douleurs ma bonne Bresse...

    Jean Loinais, 1921
    Les Dits et les Ebaudes


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